Arrivée de l'orpheline du Nord

La route a été longue. Fort longue même. Mais nous sommes finalement arrivées. Les grilles sont malheureusemet closes. Brume à mes côtés, je tire et tire encore sur la cloche qui carillonne. Je resserre les pans de ma cape contre moi. Ce n'est pas que j'ai froid. Mais cela me rassure. Je sonne encore. Au cas où.
J'enroule mes doigts à la grille, me haussant sur la pointe de mes pieds nus. J'observe le manoir. Il est immense ! Est-il vrai qu'à l'intérieur, m'attend une chambre ? Que les gens qui vivent ici sont de ma famille ? Eloignée, certes, mais famille malgré tout.
Cela ne me rend pas la mémoire, il est vrai. Mais au moins, je connais désormais mon nom. Et surtout, j'aurais toujours un toit au-dessus de ma tête. C'est tout de même rassurant.
Je sonne une fois encore. La hâte me fait insister. Je m'agrippe de nouveau au portail. Je dévore les jardins des yeux. Je suis terriblement impatiente de les visiter.
Finalement, je me dis qu'on attend peut-être que j'annonce mon nom. Peut-être me prend-t-on pour une mendiante.

Je suis Albanne. Albanne de... de Castral-Roc. Fille de Jørgen de Castral-Roc et de Caroline du Houx Rouge.

Je souris largement à la vieille Dame qui m'accueille. De plus, elle a connu mon Oncle. Henry. Oh, comme j'aimerais me souvenir de lui ! Et des autres. Mais le trou noir est toujours aussi impénétrable. Je sais qu'il va falloir du temps pour que cela me revienne. Ma vie d'avant. Peut-être même que je ne me souviendrais jamais. Mais savoir qui je suis, connaître le nom de mes parents, est déjà beaucoup.

Je m'avance sur le chemin menant au manoir. La Dame m'attend. Je hâte mon pas pour me tenir à sa hauteur.Ses questions m'embarassent quelque peu. Tout simplement parce que je ne sais pas y répondre. Puis je me souviens de Dame Angel. La raison qui avait poussé mes parents à partir de chez nous. Mais peut-être que la vieille femme n'est pas au courant ? Je dois le lui dire...

Père et mère... Père et mère ne sont plus de ce monde, Dame. Nous avons été attaqués alors que nous venions vous voir et... Je suis la seule survivante. J'ai reçu un coup sur le crâne et j'ai... J'ai perdu la mémoire.

Je baisse le nez tout en marchant doucement, au même rythme que ma compagne âgée.

Dame Angel m'a dit que je trouverais un toit ici, que l'on m'accueillerait. Que j'aurais une chambre. Que l'on ne me laissera pas seule.

Me tournant vers elle, je souris à la Dame à mes côtés. Comme elle est charmante ! Son parlé est certes étrange, mais cela me plait bien. Je ne sais guère pourquoi, mais je trouve cela rassurant. Rassurant et chaleureux. Mue par un désir assez étrange, je me saisis de sa main délicieusement ridée, et y dépose un baiser plein de reconnaissance.

A manger, voilà qui est fort bien venu ! Auriez-vous de la tisane ? Et un belle tranche de miche tartiné de confiture ? Je meurs de faim, à vrai dire !

J'en sautille de joie. D'où me vient tant de bonne humeur ? Je ne saurais le dire, en vérité, mais toujours est-il que je me sens bien. Les jardins que nous traversons sont magnifiques, et j'ai déjà grande hâte de les parcourir. Voilà un excellent endroit où déambuler durant l'heure de ballade recommandée. Puis je relève enfin.

Une chambre rien que pour moi ? Vraiment ?

Je souris de plus belle. Brume doit sentir que je suis bien, car il bondit de place en place, inépuisable. Le manoir est tout proche désormais, et je vais enfin pouvoir fouler le sol de cette immense demeure où je vais vivre. Mon coeur battant à toute allure, je joins les mains comme pour prier, tout en ne quittant pas Philomène d'une semelle. Ma nouvelle vie se trouve juste là. Et j'ai grande hâte de voir à quoi elle va ressembler, désormais.